À l’occasion d’une interview pour Culture Papier, M. Charles RUELLE, Président du SPCS depuis juin 2021, invite les éditeurs à capitaliser sur les atouts de la presse papier par rapport au digital. Il évoque également les grandes lignes de sa présidence et sa vision pour le mix papier / numérique.
LA PRESSE DOIT MIEUX EXPLOITER LES ATOUTS DU PAPIER
Officiellement élu président du SPCS le 9 juin 2021, Charles Ruelle succède à Philippe Beauvillard dont le mandat arrivait à échéance. Directeur des revues au sein du groupe Humensis, et également Directeur du pôle Musique, Charles Ruelle a en charge une quarantaine de titres appartenant à la sphère des sciences humaines et sociales. La presse culturelle et scientifique n’échappe pas à une remise en question de son positionnement et de l’utilisation du papier et du numérique dans la stratégie à venir.
Comment envisagez-vous les grandes lignes de votre présidence ?
Ce sera d’abord une présidence au plein service de nos membres. C’est le sens que je donne au mandat que l’on m’a confié. Ce sera une présidence sensible à leur diversité. Il y a des sujets d’attention constants pour de nombreux titres de notre syndicat et sur lequel nous travaillons beaucoup (l’Open Access, par exemple), mais je souhaite que nous continuions à suivre – comme aujourd’hui -tous les sujets. Ce sera aussi une présidence collégiale. Je suis entouré d’un comité directeur soudé dont l’implication est remarquable et sur lequel j’entends largement m’appuyer pour mener nos actions. Je souhaite enfin que nous capitalisions sur ce que nous avons appris des récents confinements pour communiquer différemment avec la profession et nos membres. Si rien ne remplace la rencontre « réelle », les visioconférences et séminaires en ligne offrent des opportunités intéressantes. Je vous renvoie par exemple à la visioconférence que nous avions organisée après mon élection sur l’avenir des revues généralistes (replay).
Comment se portent vos adhérents après cette période de pandémie ?
Certains titres, qui bénéficient de revenus publicitaires importants, ont énormément souffert de l’annulation des festivals, expositions et de la fermeture des institutions culturelles. La fermeture de nombreux points de vente a aussi eu un impact important, même si une majorité de nos titres ont une base abonnée solide et dans la plupart des cas majoritaire. En 2020, les abonnements ont plutôt bien résisté, voire se sont développés, non seulement parce qu’une grande partie avait été souscrite avant le premier confinement de 2020 (pour les titres dont l’abonnement fonctionne à l’année civile), mais aussi parce que c’était une garantie pour le lecteur de continuer à pouvoir se procurer son magazine. Enfin, pour les titres présents en ligne, la pandémie a été l’occasion de voir grimper les consultations, même si pour beaucoup, les revenus associés sont encore minces. Les difficultés restent toutefois nombreuses. Si les éditeurs ont résisté à la crise, ils sortent affaiblis de cette période (hausse de l’endettement, baisse des fonds propres…) et la pandémie a instauré des habitudes de lecture – notamment digitales – auxquelles beaucoup d’éditeurs ne sont pas encore bien préparés. 2022 sera encore très difficile…
Pensez-vous que la presse magazine culturelle et scientifique s’épanouira toujours en version papier ?
Il y a déjà des secteurs complets de la presse scientifique où le papier a déjà entièrement disparu (dans la recherche en « sciences dures », par exemple). Ce mouvement est moins accentué dans les sciences sociales où les pratiques sont différentes, mais la part du digital dans ce domaine est aussi amenée à devenir très largement majoritaire. Pour autant, je ne crois pas à la disparition du support papier pour la totalité de la presse culturelle. J’imagine aussi très bien que certains titres continuent d’exister uniquement sur papier, même s’ils s’adressent à un public de niche.
On dit souvent, à juste titre, que le digital permet de faire « beaucoup de choses ». C’est vrai ! Mais le papier aussi, notamment celle de proposer un autre objet et donc une expérience de lecture différente. Pour s’épanouir sur support papier, sans doute la presse doit-elle mieux exploiter les atouts du papier, en proposant un produit qui se singularise particulièrement par sa forme. Voyez le succès des mooks. En revanche, si l’éditeur ne propose au lecteur qu’une expérience de lecture appauvrie par rapport au digital – une pâle copie d’un contenu digital – alors le papier aura du mal à résister.
Quel sera le mix entre les versions print et digital ?
Il ne peut y avoir de réponse unique à cette question. Je suis toutefois convaincu que les titres qui souffrent sur papier, et qui n’ont pas encore engagé une transition vers le digital ou modifié en profondeur leur offre éditoriale de base, auront du mal à rattraper le train. Mais je ne plaide pas pour une transition à marche forcée ! Je ne crois pas au modèle économique unique pour la presse ni au 100% digital pour tous. Certains titres continueront d’exister ou se développeront uniquement en digital, d’autres maintiendront un équilibre entre papier et digital, pour d’autres le digital ne restera qu’une vitrine ; pour d’autres encore, le papier ne sera plus qu’un produit d’appel du digital, ou un produit collector à forte valeur ajoutée qui viendra valoriser l’offre en ligne, etc.
Dans les revues traditionnelles de recherche en sciences sociales, le digital n’a longtemps été que secondaire par rapport au papier. Aujourd’hui, le renversement est en train de s’opérer pour la quasi-totalité de ces revues. Les revenus digitaux seront bientôt supérieurs à ceux du papier qui eux décroissent. Pour autant, même lorsque le digital représente 90% des revenus, le papier n’a pas disparu. Les éditeurs ont accompagné ce changement en modifiant leur système de production, en adoptant l’impression à la demande, etc. Un grand éditeur international, pour vanter la numérisation globale de son fonds d’ouvrages utilisait, il y a quelques années le slogan « The book will never die ». On pourrait dire ici « Paper will never die » !
► Interview réalisée par Patricia DE FIGUEIREDO, publiée dans le n°41 du Magazine Culture Papier.